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mardi 29 décembre 2015

La mélodie secrète du poker

Parfois, lorsque j'assiste à un match de football au stade, je sais à l'avance si l'action qui est en train de se construire va déboucher sur une possibilité de but ou non. Tout dépend le plus souvent d'un seul geste à effectuer dans l'entrejeu, un geste en apparence anodin. Un geste déterminant et lumineux qu'il est difficile de prévisualiser. J'ai souvent été raillé par mes proches pour ma capacité à m'enflammer et à hurler, seul, dans la tribune alors que le jeu est en apparence calme... car je sais intuitivement que si le joueur exécute le geste attendu, il ouvre la voie royale vers le but. Auquel cas, le stade me fait écho avec quelques secondes de retard et tout le monde oublie que j'ai été le premier à me lever. Inversement, j'ai l'air ridicule lorsque le joueur n'effectue pas le geste attendu et que l'action continue à ronronner dans l'entrejeu. Pourquoi un gus s'est enflammé tout seul dans la tribune alors qu'il n'y a a priori aucun danger immédiat ? Parce que le crétin sur le terrain a pris une décision n'allant pas dans le sens du jeu.

Tout ceci me conduit à penser que nonobstant le talent propre à chaque joueur sur un terrain de football, ce sont les équipes dont les intentions et les actions vont dans le sens du jeu qui l'emportent à la fin en ayant produit un jeu bien léché créateur d'opportunités. Je suis ainsi persuadé depuis des années et des années qu'il existe dans le football une mélodie secrète du jeu. Et je ne suis pas loin de penser qu'il en va de même dans beaucoup d'autres activités humaines, qu'elles soient sportives ou non. Ainsi, une succession de notes jouées de façon harmonieuse permet non seulement de transcender les foules, mais également de deviner la note suivante de la mélodie, car dans de tels moments tout coule de source !

Il y a plusieurs façons d'aborder la réussite au poker. Les plus naïfs aiment essentiellement s'épancher sur le phénomène de la chance et des bad beats : à les écouter, ils devraient gagner plus souvent, mais ce sont les cartes qui décident d'être toujours plus cruelles. Les plus atteints par la fièvre du jeu ne jurent que par l'adrénaline et la prise de risque : après tout, la chance sourit aux audacieux... le one time c'est forcément pour bientôt. Les invétérés bosseurs se focalisent quant à eux principalement sur la technique et les cotes mathématiques : ils devraient gagner plus souvent, selon leurs propres statistiques. Je ne fais partie d'aucune de ces trois grandes catégories de joueurs. C'est peut-être parce que je suis différent que je me suis bâti une théorie quelque peu personnelle - et même un peu trop diffuse, je l'avoue - pour ce qui est de mon approche du poker.

L'empathie. Voilà bien une qualité dont on ne parle pas assez au poker. Et pourtant, elle est essentielle, composante à part entière de la recette du succès. En dépit de la succession aléatoire de mains que l'on reçoit et de cartes qui tombent sur la table, je suis persuadé qu'il y a un ordre caché à tout ceci, une mélodie secrète du poker qu'aucune oreille ne parvient à entendre dans sa globalité, mais dont on peut malgré tout deviner l'existence, à l'instar des ultrasons que nos oreilles ne parviennent pas à entendre mais qui titillent le tympan malgré tout.

Lorsque l'on est assis à une table, on peut parfois capter quelques bribes de cette mélodie secrète du poker, sans trop savoir comment ni pourquoi, et dès lors que l'on parvienne à se caler sur cette fréquence, on devient invincible quelles que soient les cartes que l'on a en main. L'espace d'un instant, le plus souvent. L'espace d'un tournoi, parfois. Je suis persuadé que c'est  la perception à la volée de quelques unes des notes de la mélodie secrète du poker qui permet de marcher sur la table et de remporter la mise au nez à la barbe de tous ses adversaires. Oui, mais comment faire pour parvenir à discerner cette mélodie inaudible et entamer notre danse effrénée qui nous propulsera au sommet de la vague de notre A-Game ? Comment faire pour ne pas la confondre avec le chant des sirènes qui fracasserait aussitôt notre carcasse de dauphin contre les récifs ?

Pour tenter de me caler sur la fréquence du jeu, et ainsi capter les notes de la mélodie secrète, j'ai recours à un subterfuge sommaire : puisque le poker a supposément une mélodie qui lui est propre, je décide parfois d'accompagner mes sessions nocturnes d'une chanson que je vais écouter en boucle une bonne partie de la soirée. La chanson en question varie selon mes humeurs et inspirations, sans que jamais ce soit une de mes chansons préférées (étrangement), et je me dis que peut-être de la sorte je parviendrai à entrer en résonance et ainsi synchroniser harmonieusement quelques notes. Trouver la clef de sol est peut-être la clef du succès.

Tout ceci ressemble à s'y méprendre à de l'homéopathie, et je me demande si le plus grand des naïfs, au final, ce n'est pas moi... Comme si ce simple mantra musical ne reposant sur rien de tangible pouvait me permettre de me caler sur la fréquence du succès ! Si j'y réfléchis posément, je me dis que je suis ridicule. La mélodie secrète du poker n'existe pas ! Le Dieu du Poker non plus, d'ailleurs ! Et pourtant, je perpétue mon rituel musical vaille que vaille, tout comme je continue à vénérer secrètement le Dieu du Poker, qui ne peut avoir que de grands desseins pour l'humble et zélé serviteur que je suis.  

Pourquoi diantre est-ce que j'entretiens toutes ces simagrées ésotériques ? Croire en l'existence du Dieu du Poker me donne envie de sublimer mon jeu pour lui, et maintient intacte ma motivation et ma dévotion pour ce jeu : je chéris chaque instant passé à jouer... qu'il soit glorieux ou cruel, peu importe. Cela stimule ma passion de façon positive. Quant à écouter une chanson en boucle, ce rituel atypique ne décrypte pas la mélodie secrète du poker, c'est une certitude. Mais cela permet de maintenir une humeur égale et un degré de concentration satisfaisant tout au long de la soirée, favorisant ainsi les aspects du jeu liés à l'empathie. Ce qui a pour effet de réduire un peu les chances de tomber dans divers pièges liés à l'affect et à l'ego au moment de prendre des décisions difficiles. Dans ces conditions, pourquoi s'en priver ? Alors En avant la musique ! Et puisse le Dieu du Poker m'inspirer dans ma (con)quête mystique...







3 commentaires:

  1. Réponses
    1. Merci pour ce petit commentaire flatteur : après l'avoir publié, j'étais assez mécontent de ce billet. Mais à la relecture, il m'apparait moins raté que je ne le pensais initialement.

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  2. En avant la musique pour 2016 !!!
    Bonne année

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